Puisque les facs (Lettres et Sciences humaines, essentiellement, pour 10 % des effectifs, et parmi ces 10 % un tiers de motivés) nous interpellent, à travers leur rejet de la loi sur l’autonomie des universités, eh bien répondons à cette interpellation : dois-je le dire, je me sens personnellement interpellé, si si !
Il est des domaines, notamment l’informatique, où la règle est LA DOUBLE COMPETENCE. Entendons par là (si vous voulez, entendez par un autre bout) que tout zèbre badgé « informaticien » doit pouvoir faire état d’une autre casquette dans un domaine extérieur à sa spécialité : la finance, la productique, la logistique, la robotique, l’ergonomie, la banque, les voyagistes… bref : connaître quelque chose, dans un domaine qui n’a rien à voir avec les ordinateurs, en plus de sa supposée science des ordinateurs.
Il est navrant, chers amis étudiants en histoire de l’Art, en Histoire tout court, en Lettres modernes, en Littérature comparée, en Philosophie, de savoir que vous allez bientôt grossir les rangs des caissiers de supermarchés avec un Bac+5, la maîtrise d’Histoire de l’Art n’étant malheureusement d’aucune utilité dans ce boulot. Certes, il y a des postes d’enseignants ! certes. Pas beaucoup. Mais il y en a, et des postes de conservateurs de Musées, de critiques d’Art, de journalistes… mais pas beaucoup. On peut espérer en accrocher un, va savoir…
On ne peut pas vous demander de « faire » maçon, couvreur, plombier, charpentier, patissier, maquettiste, charcutier, carrossier, menuisier, carreleur, platrier-plaquiste, étalagiste, tourneur-fraiseur, mécanicien diéseliste, pépinièriste, marbrier… vous auriez du boulot demain matin si vous le vouliez, mais ce serait déchoir. Mieux vaut aller pointer à l’ANPE avec Bac+5. Mieux vaut gloser sur Schopenhauer versus Hegel devant un formulaire de demande d’allocation chômage que de bosser sur un travail dit « manuel » gratifiant, utile, apprécié et possiblement bien payé.
Mais alors, me direz-vous (si vous y tenez, hein, moi je dis ça, c’est à vous de voir) à quoi bon maintenir des facs de Lettres et de Sciences Humaines, sachant qu’elles ne débouchent sur presque aucun métier ?
Eh bien, la réponse est simple : les Lettres, ce n’est pas un métier (sauf pour ceux qui transmettent le flambeau), c’est l’esprit. La culture. L’anti-connerie. Le sens de la nuance. La sagesse. Les Lettres, l’Histoire, c’est l’anti-obscurantisme, la nécessité de penser librement, la possibilité de juger, de penser. Pas une filière de métiers, mais un substrat anti-crasse.
Et mon propos, tout nébuleux qu’il soit, s’articule là : que les carrossiers aient droit aussi à Schopenhauer, que les charcutiers découvrent la concision du style dans La guerre des Gaules, que les maçons puissent disserter sur la couleur chez Matisse ? pourquoi pas ? et inversement, que les spécialistes de la Fronde ou de la Régence se forment simultanément à la conduite d’engins de terrassement ou à la photographie de mode. Double casquette, donc.
En résumé, ou plutôt en caricature : la fusion des facs de Lettres et des LEP !!! un métier utile + la Littérature, l’Histoire, la Philosophie. Ou inversement. Voilà qui modifierait considérablement le paysage et les états d’esprit, en bien pour tout le monde.
C’est confus, juste une idée, mais je vous la soumets.