Les discothèques, paraît-il, sentent maintenant la sueur aigre et les dessous de bras pas nets ; on y ajoutera, pour être exhaustif, le tabac froid, tenace et horrible souvenir des années-clopes qui, tel un déchet radio-actif, imprègnera les rideaux, peintures, sièges, murs… durant les lustres à venir.
On se plaint donc maintenant des odeurs, dans ces discothèques, comme on s’y plaint chroniquement du bruit. On sait que la drague – et c’est peu dire que la drague est la première raison de fréquenter les discothèques !! – ne peut s’y faire que muette, ou hurlante : « Vous venez souvent ici ? » beugle-t-on aux oreilles déchirées de sa voisine de gigoti-gigoton. Ou bien, si l’on n’a pas l’organe assez puissant, on doit se contenter de mimiques, et là le langage des sourds-muets prend soudain toute son utilité ! de fait, le murmure calin n’a rigoureusement aucune chance, prem’ parce que la danse frotti-frotta a disparu des pistes de danse (on dit « dance-floor« , eh ringard) , deu’s parce que la voisine de déhanchement ne peut pas entendre quoi que ce soit dans ce maëlstrom sonore, a fortiori si elle a prudemment enfilé des bouchons d’oreilles pour préserver son ouïe !!
J’apprends en effet que les batteurs de pop-rock-variétés – engeance que je hais, incapables qu’ils sont de nuancer quoi que ce soit dans leur jeu : ça cogne, ça cogne, et basta – et les disc-jockeys, engeance nocturne façon hiboux, se refilent des tuyaux sur les meilleurs tampons d’oreilles pour ne pas souffrir précocément d’acouphènes, puis de surdité définitive. Soyons clairs : ces gens-là sont les premiers responsables des tombereaux de décibels qui sont déversés dans les salles de concert ou les discothèques ; ils savent pertinemment que le son y est dangereusement trop fort, mais ils n’en ont rien à foutre, eux se protègent.
Dernier développement à prévoir dans les discothèques : puisque de toutes façons la danse ne consiste plus qu’à gigoter quelque part sur une piste (d’ailleurs on n’y voit goutte, quelle importance si l’on n’est pas en ryhtme ? à la limite, à quoi bon gigoter ? ), puisque la conversation, en fait la drague, y est impossible sauf à se péter les cordes vocales, pourquoi ne pas instaurer le baladeur MP3 comme source musicale ? chacun viendra avec son petit Ipod, son mignon Archos… écouteurs sur les oreilles, on pourra s’y déhancher plus ou moins en rythme – son rythme – sans emmerder le voisin, sans requérir les sévices d’un disc-jockey, au niveau sonore qui plait : image idyllique de discothèques silencieuses et sans fumée, juste zébrées des spots laser ou des projos poursuiveurs, sourdement secouées des halètements des corps et des martèlements des pieds (*).
Au fait, avez-vous vu ce superbe film, » l’Acrobate » , de Jean-Daniel Pollet, avec cet inoubliable danseur de tango : Claude Melki, notre Buster Keaton à nous, malheureusement plus de ce monde ? allez, c’est la séquence Nostalgie : L’acrobate, Claude Melki, et sans bouchons d’oreilles : la musique y est superbe.
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(*) Les danseurs (sic) ayant chacun leur rythme propre, on obtiendra une sorte de magma de piétinements, un mouvement brownien des semelles : aucun risque donc de voir la piste de danse, les piliers, la toiture entrer dangereusement en résonance ; c’est pour cette même raison que les militaires rompent le pas cadencé à la traversée d’un pont, surtout s’il est suspendu !!