Notre langue, pour autant qu’elle échappe dans les années qui viennent aux mâchoires destructrices des « implémenteurs de bottom-up focusés sur le trend » d’un côté, et des « Keskon en a a 6 ré », sans oublier la troisième mâchoire, celle des « enculé nique ta race », notre langue, donc, a de bien belles tournures(*).
Elle évolue, bien sûr et neanmoins, et, parlée, s’éloigne chaque jour un peu plus de l’écrit. C’est ainsi, et cela s’explique, en cette époque de bruit, bruit qui nous épuise, affaiblit le message, oblige à utiliser le gros trait, la redite, le petit nègre, faute de quoi l’on n’est pas entendu – quant à être compris…
Ainsi ce besoin d’associer systématiquement à l’oral le sujet et le pronom personnel correspondant, comme si le sujet ne suffisait pas à la clarté du propos. « Mon père il est boucher ». « Les fourchettes elles sont dans le tiroir ».
Cette habitude quasi générale est à rapprocher des techniques de dialogue « à distance », tant verbales qu’électroniques. Exemple, nous nous adressons à un proche, pas si proche que ça, puisqu’au lieu de lui dire tout à trac « Paulette, passe donc chez le boulanger acheter du pain », nous procédons en trois temps : « Paulette ? – oui ? – passe donc chez le boulanger… ». Technique de communication fort commune en électronique, où le contenu du message doit être précédé d’une procédure explicite et formelle de connexion, faute de quoi le message se perd. La connexion c’est « Paulette ? – oui ? » ; et dans le parler quotidien, cette connexion, ténue certes, moins explicite, prend la forme du sujet : « Les fourchettes » : oui ? et puis ? les fourchettes ? qu’as-tu avec les fourchettes ? … « elles sont dans le tiroir ».
Voilà. Autre exemple, « hier il a pas plu, il a plu ». Oh, il a plu ou il a pas plu ? il a énormément plu, et ça m’a déplu, et d’ailleurs ça me déprime. Vivement qu’il plaise, qu’il fasse beau. Mon papa il est parti, mais demain il fera beau.
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(*) Selon mon dico, « La tournure est un vêtement de dessous ayant existé d’environ 1860 à 1900 ; elle est souvent considérée comme une évolution de la crinoline. Comme cette dernière, elle est placée sous le jupon, attachée juste en-dessous de la taille, et soutient l’ensemble des jupons…« . Un faux-cul, quoi !