C’est du Rimbaud, le titre – enfin, un petit bout de Rimbaud. « Voyelles« , ça s’appelle, et ce sonnet vous cause sûrement, vous l’apprîtes en vos jeunes années, peut-être l’aimâtes-vous :
"A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre..."
…eh bien, pour moi c’est ça le Cabinet Noir. Pas celui du 55, Rue du Faubourg-Saint-Honoré ; celui-là on ne peut pas l’approcher – secret secret, passez au large – et l’on ne peut que l’imaginer. Pour moi c’est irrésistiblement, dans les années d’immédiat après-guerre, au fond du jardin, cette cahute de bois, sans fenêtre et fermée par une porte pleine mais laissant filtrer quelque peu le jour – et l’air pur ! – du haut et du bas, avec un crochet de blocage pour préserver l’intimité de l’occupant – y avait-il un crochet ? j’aime à l’imaginer.
Une banquette de bois, percée de deux trous ronds de la taille d’une assiette, avec des couvercles en bois : le luxe, un biplace ! Des carrés de vieux journaux sommairement découpés au mur, accrochés à un clou plié. Ce devait être la « République du Centre-Ouest », ou ce genre de presse régionale ; une fois lus, les quotidiens alimentaient en effet le démarrage du feu le matin dans la cuisinière à bois, permettaient de torcher les poêles à frire avec du gros sel, et de torcher itou les fesses des utilisateurs de l’édicule. Tentez donc de faire de même avec la presse sur-la-Toile !
Ce cabanon m’intimidait. Le jour y pénétrait chichement une fois la porte fermée ; sombre et inquiétant, avec ses deux trous menaçants prêts à vous avaler : pas de fausse manoeuvre ! En hiver on ne s’éternisait pas trop… en été c’était fortement odorant, et il y avait ces grosses mouches noires et velues qui vous tournaient autour, celles de Rimbaud, « puanteurs cruelles« , et qui « bombinaient« , quand ce n’étaient pas les notes suraiguës des mouches vertes au corset dur et brillant.
C’était mon cabinet noir, j’y fus maintes fois pour d’excellentes raisons et puis témoigner de son existence. On peut supposer que de nos jours un tout-à-l’égoût l’a envoyé aux oubliettes, ce chalet de nécessité. Mais les cabinets noirs ombreux et malodorants où ça bombine perdurent, depuis Richelieu, en passant par les officines abritées par l’Elysée du temps de Tonton, qui donnèrent lieu à procès et condamnations. C’est trop tentant, TOUT peut remonter au monarque, il suffit de claquer des doigts… Droite et Gauche se reprochent alternativement ces pratiques, chacun son tour. Comment ne pas imaginer les mêmes dispositifs subreptices sous l’aile bienveillante du futur ex-Président actuel, quand les juteuses révélations d’affaires sortent bien en rang comme à la parade, et que les journaux s’assoient quasiment tous les jours sur les secrets des instructions judiciaires ? ça doit bombiner, forcément.
Tibert
Mouahahahaaahhh ! Vous éveillez de vieux souvenirs, cher Tibert ! Nous avions exactement les mêmes chez mes grands-parents, au bout du jardin à Cires-les-Mello, dans l’Oise !
Ce qui nous relie tout droit au XIXème siècle…
Deux détails toutefois : le nôtre était monoplace (il n’y avait que l’appellation qui était plurielle : « Les cabinets ») et surtout, le journal (« Le Parisien », Libéré de frais à l’époque…) était détaillé soigneusement selon des règles impérieuses par ma grand-mère : Elle cadrait en effet sa découpe sur… le 1/4 de page du roman feuilleton quotidien, et il fallait qu’on utilise les feuilles dans l’ordre rigoureux de la parution (et donc de l’accrochage, à une espèce de hameçon géant en fil de fer…), sinon gare à l’engueulade : « Y’en a encore un qui a arraché n’importe quelle feuille aux cabinets ! Et après, moi je ne m’y retrouve plus dans mon feuilleton !!! »
Des fois, lorsque je suis en train de suer encre et eau sur l’un de mes écrits de nature à être publié, je pense à la vocation finale de toute cette vanité littéraire. Mais quoi ; un jour, je me suis vu remettre, au marché « du Pile » à Roubaix, une superbe laitue (bio ; heureuse époque – déjà lointaine ! – où tout l’était encore !) soigneusement « pliée » dans l’un de mes articles de débutant, qui m’avait coûté beaucoup de peine pour « la Voix du Nord ».
Comme je racontais l’anecdote à mon pôpa, encore vivant (et même bon vivant !) à l’époque, il me consola : « Une salade ? pour emballer TES salades ?? Juste retour des choses. Et console-toi : tu aurais pu te retrouver aux cabinets de Cires ! »
Sic transit gloria mundi…