L’accostage rugueux d’un éé-nooor-me navire de croisière sur un quai de Venise – avec des blessés légers – illustre une fois de plus la mortifère dérive de nos loisirs. Que fout ce monstre dans les fragiles canaux vénitiens ? et comment survivre à ces invasions barbares ? trois-mille gogos en goguette obligatoire, vomis par les passerelles du navire, dévalant les quais en hordes serrées, en quête de gelati, de masques, de cartes postales, de panini, de dôme de Saint-Marc sous boule plastique avec de la neige quand on le retourne – n’importe quel bidule made in PRC pouvant témoigner d’une escale à Venise… les milliers de selfies (poussez-vous, on vous voit ! ), tournant le dos à la célébrissime paire de lions…
Ces mahousses paquebots bourrés d’envahisseurs éphémères sont les Merlin-Plage concentrationnaires des années 2000, avec buffet de hors-d’oeuvres et pinard à volonté. Les Portugais de l’Algarve, envahis, en viennent à détester les retraités français et britanniques. Les Barcelonais en ont ras le bol des Ramblas colonisées. On songe à un numerus clausus pour visiter le Mont-Saint-Michel. On fait la queue deux heures et plus pour voir les toiles du Musée d’Orsay. J’ai pu voir un enregistrement vidéo montrant un embouteillage d’alpinistes sur la voie « normale » d’escalade du mont Everest…
Et encore, on est loin des chiffres potentiels ! songez, les Japonais rechignent à se mélanger et prennent très très peu de vacances ; les Indiens et les Américains du Sud sont pauvres et n’ont pas les moyens de se payer des charters vers Honolulu ou Salzbourg. Mais ça viendra ! regardez, les Chinois… il y en tout plein tout partout maintenant. Vous habitez un trou quelconque et sans attrait ? faites gaffe ! On y viendra bientôt faire des repérages pour une série-TV coréenne ou bollywoodienne, on va y réquisitionner l’Hôtel du Lion d’Or et celui des Voyageurs, le centre-bourg sera interdit aux autochtones ! Bientôt le traditionnel kebab du coin va se faire racheter par une chaîne de fast-food avec du kimchi ou des dim-sum.
La Planète comme un immense Luna-Park (*). Resteront quelques zones délaissées, donc peinardes, du fait de leur manque total d’intérêt, voire de leur laideur… quelques cambrousses reculées et rebutantes, Plouquenville-les-Côteaux, miraculeusement à l’abri des hordes suiveuses de parapluies dressés. Les richards s’y réfugieront, tout comme de nos jours à Bel-Air sur les collines de Los Angeles : ça va faire grimper les prix ! Dépêchez-vous d’acheter, y en aura pas pour tout le monde.
Tibert
(*) contrepet approximatif pour lupanar.