Pour éteindre un feu, les pompiers déclenchent parfois un contre-feu, qui, habilement mené, prive le premier d’aliment. J’aime à penser que ce nouveau deuil, qui paraît-il fut décidé en pleine conscience par son principal protagoniste, est une illustration de cette astucieuse technique. Tenez, la Une du Monde : « Live en cours » (je vous ai déjà dit tout le bien que je pense de cette expression débile) : « Mort de Jean-Luc Godard, en direct : témoignez et suivez les hommages et les réactions » . Non seulement c’est du « live en cours » , mais c’est aussi « en direct » : ce n’est sans doute pas de la conserve. Bien. Eh oui, Godard, Jean-Luc, vient de quitter cette Terre ; il se dit qu’en Helvète avisé et courageux il a su profiter des lois de son pays sur la fin de vie, qui sont moins connes que chez nous. Nonante-un ans… (*) J’aime l’idée qu’il a repris à son compte cette citation d’un de ses films :
- « Qu’a dit Goethe avant de mourir ? – (… ?) – Qu’a dit Goethe avant de mourir ? – euh… – Qu’a dit Goethe avant de mourir ? – ça suffit comme ça ! » . Sans doute que ça suffisait comme ça, et voilà.
J’avais rencontré JLG en juillet 68 (à l’époque il donnait dans la Maolâtrie) ; il présentait les rushes – les prises brutes -, qu’il proposait à la critique, d’un truc assez innommable qui devait s’appeler British Sounds : une usine de bagnoles en Angleterre – à l’époque Austin fabriquait encore – avec une bande-son quasi en vraie grandeur : assourdissante ; des dialogues, donc, à peu près inaudibles, bref du Godard… eh bien, nous l’avons, ces jours-ci, notre British Sounds pénible, ce vacarme médiatique à rallonge, cette randonnée interminable du cercueil de l’ex-reine britannique dont nous gavent les médias français ; mais il y a désormais de la concurrence ! On pourra suivre, diversion inespérée – ce sera facilement plus sobre – les hommages à, les commentaires sur, les funérailles de JLG ! Je n’ai jamais été très chaud pour le cinéma de Godard ; à mes yeux, après « Pierrot le fou » c’est à peu près tout à benner, ça relève du pensum. Mais c’est juste mon point de vue à moi… je ne suivrai tout de même pas cette citation des Situationnistes : « Godard : le plus con des Suisses prochinois » . D’abord parce qu’il était aussi Français, et puis tout le monde a le droit de se tromper dans sa jeunesse, non ? En tout cas, on va peut-être enfin nous causer d’autre chose que de la reine d’Angleterre.
Tibert
(*) Septante, huitante, nonante… c’est nonante-un en Suisse, bien mieux que notre 4 x 20 + 11 alambiqué.