Tout en changeant les cylindres des serrures de deux portes d’entrée d’un domicile (opération d’une simplicité enfantine, si les mécanismes sont suffisamment en bon état), je m’étonnais de la pauvreté de notre langue quant à la description de l’état d’un huis, quel qu’il soit : porte, fenêtre, volet, trappe, vasistas…
Car, chers amis topologues, vous êtes certainement de mon avis, la forme de l’huis, on s’en bat l’oeil ! ce qui le caractérise pour nous, ce sont ses états ! Pas ses états de saleté ou de propreté ; peut nous chaut que l’huis luise ! En fait, les états de l’huis, on en dénombre trois, et je prends l’exemple d’une porte pour concrétiser mon propos :
– la porte est ouverte, c’est-à dire qu’elle bée. Si c’était une baie, on dirait que la baie bée. Si cette baie appartenait à un abbé (quel qu’il soit, appelons-le « B » ; vous préféreriez l’abbé C ? certes, c’est aussi un joli nom, mais quelqu’un a déjà déposé le copyright) on pourrait énoncer que la baie de l’abbé B bée. Mais poursuivons.
– la porte est fermée, c’est à dire qu’elle ne bée pas, sans pour autant être verrouillée. Il est donc loisible à quiconque d’actionner sa poignée, puis de pousser sur ladite porte pour l’amener à l’état béant. Par exemple, si la porte est verte, on peut ainsi voir ce qu’il y a « derrière la porte verte ».
– la porte est verrouillée, c’est-à dire qu’il est impossible de l’ouvrir par simple action sur la poignée. Il faut une clé. Ou un pied-de-biche. Soyons clairs : verrouillée, une porte est ipso facto fermée. Car, pinailleur que vous êtes, vous allez m’objecter que oui mais, on peut verrouiller la porte si elle est ouverte… certes on peut actionner la clé, porte béante. Mais elle béera de plus belle. Elle béera verrouillée, oui, mais béera. A quoi bon le verrou dans ce cas-là, hein ?
Donc, précisons : verrouillée = fermée à clé. Pas ouverte à clé.
Eh bien, mes amis, combien de fois entendons-nous demander « as-tu fermé la porte ? » ou « la porte est-elle ouverte ? » ; et chacune de ces questions en amène immédiatement une autre : que veut-on dire par là ? En fait, ces questions sont obscures car mal formulées. Et donc, nécessitent reformulation.
Si la première question peut aisément être clarifiée – il faut préciser « elle est fermée à clé », ce qui finalement est à peine plus long, et aussi clair que « verrouillée », il n’en va pas de même de la deuxième. Car « la porte est-elle ouverte ? » nécessite des développements pénibles, du fait qu’y sont sous-entendues deux possibilités : soit la porte est béante, soit elle ne bée pas mais est susceptible de devenir béante sans clé ni effraction. D’où des dialogues de sourds, surtout si la porte bée sur le vacarme de la rue.
Je sens que votre intérêt faiblit, je m’empresse donc d’achever mon billet : là où les Rosbifs n’ont aucune difficulté à décrire l’état d’un huis – opened, closed, locked – nous nous gâchons l’existence avec des termes approximatifs. Donc, de même que je milite pour le « mobile » (ou « cellulaire ») pour éviter qu’on confonde le téléphone cellulaire avec un ordinateur portable, je fais campagne pour « ouvert (= béant), fermé (= non-ouvert, non-verrouillé), verrouillé« . Ainsi soit-il.
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Tiens, pour vous récompenser d’être allés au bout du billet, une porte béante ouverte à grands coups de pied par un article du Monde : « Une bonne connaissance du français est indispensable à l’apprentissage des autres disciplines : c’est ce que confirment deux études sur les acquis des élèves en histoire, géographie et éducation civique rendues publiques, mercredi 26 décembre, par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation. » Ca alors, quel choc ! Je n’en reviens pas, j’en suis tout esbaudi.