Un article du Figarôt de ce matin (ou d’hier ? ma doué ! m’aurait-il échappé, à mon grand dam ? ) a suscité, à l’heure où je mets sous presse, 593 réactions de lecteurs. Pas 12, pas 52, non, 593. Gros score, et de tous les bords : amis visiteurs de ce blog, je vous invite à en butiner quelques échantillons, à moins que le goût de l’exhaustivité et l’intérêt pour la recherche vous poussent à en analyser l’intégralité. Bon courage, car ça tire dans tous les sens !
Manifestement, donc, l’article n’a pas laissé indifférent. Et qu’énonce-t-il, cet article ? « un quart des enseignants-chercheurs ne publient pas« . Eh oui. La polémique est lancée, c’est à vous.
Moi, personnellement, ça ne me choque pas. Je dis depuis belle lurette (il n’existe pas de lurette moche, à ma connaissance) que publier n’est pas une fin en soi, qu’enseigner est déjà un gros travail, que le Premier Cycle – qui correspond grosso-modo au « bac » d’avant 1968 – le « bac » étant maintenant une peau de lapin, merci les socialos – n’a pas besoin de pédagogues-chercheurs, mais de pédagogues tout court, que ce n’est qu’à partir de la fin du second cycle que le contenu d’un enseignement peut se nourrir utilement de recherches.
L’article en question ici statue en fait, silencieusement, sans le dire, que les 3/4 des enseignants-chercheurs publient… ce qui est beaucoup ! Ce qui m’aurait plus intéressé, en fait, c’est un indicateur de la qualité de ce qui est publié. Il est clair que publier est, ou devrait être un acte rare : publier, c’est mettre au jour le fruit de recherches, donc de moult heures de travail. Laissons-leur donc le temps de travailler, de chercher. Et je ne suis pas loin de penser, paradoxalement, que moins on publie, plus on est crédible. Sauf que si l’on ne publie rien, on est mauvais, du moins à l’aune des critères en vigueur . Mais disons-le tout net, et à rebours, beaucoup publier, c’est louche ! (*)
Tenez, prenons un exemple : si je ne publie rien, je suis supposé être un mauvais chercheur ? bon… je ne publie rien pendant 20 ans… je suis très très mauvais… bouh qu’il est mauvais. Mais au bout de 20 ans je sors un papier de, disons 83 pages, intitulé « Démonstration de la conjecture de Goldbach » (**). Et ma démonstration, miracle, tient la route (supposons, hein, supposons…) : suis-je toujours un piètre chercheur ? mais je n’ai publié qu’un papier en 20 ans…
De là à prétendre que tous ceux qui ne publient pas sont occupés à chercher la démonstration de la conjecture de Goldbach…
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(*) J’ai vu, de mes yeux vu, certains enseignants-chercheurs publier : dans le domaine informatique, en deux coups les grosses, sur la Toile (à l’époque, c’était rustique, et sans images) trouvez 3 articles américains sur les O.S. « temps réel » et les algorithmes préemptifs (excusez-moi, c’est technique), malaxez le tout, ornez de quelques calculs, coupez par ci, raboutez par là, ajoutez un zeste de votre cru, trouvez une demi-douzaine de références bibliographiques, chapeautez ça par un résumé (un « abstract ») bilingue, mais en Rosbif d’abord, et hop, servez, c’est cuit.
– (**) Un des Graals de la théorie des nombres, un sommet inviolé : « tout entier pair supérieur à 3 peut être vu comme la somme de 2 nombres premiers« . Voilà, c’est à vous, je ramasse les copies dans 20 ans.
pour avoir longtemps travaillé dans des organismes de recherche je peux témoigner qu’il n’y a aucune correlation entre le nombre de publications d’un chercheur et la qualité de sa recherche
Je confirme, aucune corrélation ! Pourtant les universités poussent leurs enseignants au maximum – dans une certaine fac que je connais, on reçoit tous les ans la liste des publications, conférences, etc. de ses collègues. C’est la quantité qui compte. C’est tout juste s’il n’y a pas un « publicateur de l’année ».
Cependant, publier beaucoup + enseigner + chercher ça n’est pas évident. D’où deux techniques classiques pour faire illusions :
-recycler de sa thèse à toutes les sauces pendant 20 ans (cours, articles, conférences)
– faire 6 ou 7 fois la même communications à des conférences différentes, en changeant le titre
– pour ceux vraiment sans scrupule (ils existent, mais sont heureusement rares), recycler les travaux d’autres personnes
Cela dit, on trouve aussi des bonshommes (ou des bonnes-femmes) qui publient très souvent d’excellents articles sur des sujets variés. Est-il nécessaire de dire que ce n’est pas la majorité ?
ceu qui piquent les articles de leurs collaborateurs ne sont pas si rares.Je me rappelle le cas d’un eminent directeur qui avait tout bonnement recopié l’oeuvre d’un de ses collaborateurs. Comme je m’en émouvait, il me fut répondu « il aurait pu l’écrire »