J’ai revu, 30 ans après, ce film ma foi possible à revoir, « Les choses de la vie ». Piccoli, Schneider, Massari, Bouise, évidemment, et puis Lapointe en transport de porcs sur pied, etc. Les répétitifs ralentis de Piccoli cramponné à son volant, dans son Alfa cabossée et vouée, on s’en doute, aux épaves. Mais ce film date terriblement :
– Il n’y a pas de radars, pas de bandes blanches continues et abusives, de zébras zébrant l’asphalte, de ralentisseurs, de panneaux hypnotiques 30 / 50 / 70 / 90 / 50 / 70 etc, et pas de ronds-points. Pas de rond-points ! vous vous rendez compte ? L’Alfa de Piccoli file comme le vent, il est en retard, et il n’a pas de ceinture de sécurité, évidemment. Lamentable… remarquez, il ne téléphone pas tout en conduisant : on n’avait pas encore inventé les mobiles.
– et puis surtout ça clope, ça clope, c’est ahurissant. TOUT le monde clope, les figurants comme les vedettes. On allume sa Gauloise au mégot précédent, on se tape trois bouffées entre la tomate en salade et le boeuf-mode, les restos sont boucanés, on sucre son petit noir au comptoir, clope coincé au bec et l’oeil gauche demi-fermé à cause de la fumée qui monte et pique. C’est le nuage bleu omniprésent. Qu’est-ce que ça a changé !
Au hit-parade, ce sont la Gauloise et la Gitane qui triomphent, dans « Les choses de la vie ». Allez, petite revue nostalgique :
La Gauloise (1910), sans bout-filtre, non mais ! et la « Disque Bleu » (1934), la Blonde tardive (fausse blonde !). La goldoche glorieuse, universelle, omniprésente, un symbole national, le paquet bleu avec le casque d’Astérix, le paquet bleu ouvert au coin sur toutes les tables : un mythe.
La Gitane (1927), sans / avec bout-filtre, et sa version « maïs », que mon pépé rallumait inlassablement avec son briquet à essence fuligineux. L’étui cartonné coulissant, bleu foncé, nettement plus classe, et surtout plus rigide. Et la danseuse éponyme, dans sa longue robe fumée.
La Parisienne, alias la P4, pour les fauchés, quand on ne pouvait pas sortir de quoi en acheter 20 d’un coup. La Gauloise du pauvre…
La Balto (1931)… la blonde franchouillarde et son navire à la Christophe Colomb, bien avant le cow-boy Marle-Beau-Rôt
La Celtique (1933), le « gros module » pour les grandes bouches, le crédo du Léo (Ferré), « quand je fumerai autre chose que des Celtique« .
La Boyard (quand ?) et sa version maïs à peau jaune sombre, « gros module » aussi, et qu’il fallait sans cesse rallumer… un clope de mâle ! un clope gainsbourgien.
La « Egée » (1953) : disparue, plouf, tabacs d’Orient, comme la Fontenoy, la Favorite, la Ariel, la…
… la Royale (1956), de la clope mièvre, de minettes. L’équivalent-clope de la « Floride » Renault.
Et puis la débandade, les bouts-filtres à la durée de vie multi-centenaire que nos arrière-arrière-arrière-petits-enfants retrouveront sur le sable des plages – s’il reste des plages, et ces ersatz, la Gauloise « légère », comme on parle d’une femme légère, et d’autres, au menthol, au caramel mou… et puis c’est fini, la Gauloise va être fabriquée en Pologne, l’usine SEITA de Nantes ferme, mesdames-messieurs, et désormais ce sera la Polakoise, pire qu’un crime, une erreur. Au fait, nous vous rappelons « qu’il est interdit de fumer dans les toilettes ; fumer dans les toilettes peut porter atteinte aux détecteurs de fumée… gnagnagna… passible de poursuites… blahblahblah« .
Tibert, les doigts jaunes de nicotine