Un semi-remorque grumier – sans grume – qui pour une raison inconnue se plie en « portefeuille » et en travers d’un virage masqué sur une petite route sinueuse du vignoble libournais, un autocar de retraités du coin tout juste parti en virée vers les Landes et un « graillou » prometteur et programmé largement à l’avance, et plus de 42 morts : route trop étroite et en pente, choc violent, incendie immédiat… bref on en saura plus bientôt sur le pourquoi de ce camion en travers au mauvais endroit au mauvais moment.
Monsieur Mamère, le maire de Bègles – pas bien loin du Libournais – et coutumier des positions et postures à rebrousse-poil, a mis en cause la loi Macron dans ce drame : ce serait la faute à la libéralisation des transports en autocars !… sauf que les virées en autocars Troisième-Age à prétexte gastronomique, culturel, touristique, religieux… ça se pratique depuis que les autocars existent, bien avant que monsieur Macron ait vu le jour. Monsieur Mamère a ainsi perdu une occasion d’éviter de dire une ânerie, dont la logique conduirait d’ailleurs à mettre sur le dos de monsieur Stephenson tous les accidents ferroviaires, monsieur Ader se chargeant des crashes d’avions, etc.
Mais monsieur Mamère dit par ailleurs des choses plus sensées, et là je le rejoins : notamment que les routes secondaires, qu’on néglige au profit des grands axes et eux seuls, devraient être plus « secure » (c’est lui qui a semble-t-il mis des guillemets, vous voyez, avec le geste des deux majeurs et index joints faisant les crochets en l’air). Il est clair – mais chuuut, les morts c’est officiellement la faute des seuls chauffards et de la vitesse, cette salope – que des tas de points noirs sont connus pour provoquer des accidents sur nos pittoresques, étroites et sinueuses routes départementales. Justement, LE virage des 42 morts en était, « bien connu des services de la DDE » : il avait déjà provoqué des drames. Mais élargir le virage, l’arrondir, y mettre des miroirs pour y voir ce qui vient (ça se fait beaucoup en Suisse et en Allemagne, par exemple), ça n’intéresse pas les décideurs en la matière, plus désireux d’investir dans de nouveaux et rutilants ronds-points à leur gloire (les mairies ? les DDE ? autre ? ). Combien ça coûte deux miroirs convexes placés judicieusement pour voir l’intérieur du virage en face ? combien ça coûte quarante-deux morts ?
Voilà… mais je reviens sur les guillemets de monsieur Mamère : secure. Ce n’est pas français, en effet ; c’est du rosbif, secure. Qui veut dire sûr (sans risque). Le problème c’est que « sûr » a chez nous deux fois deux = quatre acceptions, si l’on pinaille sur l’accent circonflexe. Sur : par dessus ; sur comme un fruit un peu fatigué (une pomme sure…) ; sûr : certain ; sûr : non risqué. Evidemment l’accent circonflexe ne s’entend guère, pour ajouter à la difficulté – il ne reste que le contexte pour comprendre. Et puis l’inflation verbale veut qu’on utilise des mots longs pour dire des choses importantes ; sûr c’est sûrement trop court ! bref sûr a du plomb dans l’aile, et on entend ici et là l’affreux secure (sûr = sans risque) ou sûr et certain (pléonasme !), pour signifier sûr = certain.
Que faire ? nous sommes coincés derrière un adjectif très polysémique et trop court. Il y aurait bien l’expression québecoise sécuritaire, utilisé pour sûr = sans risque. Je vous la propose ? à Montréal ça ne pose aucun problème. « Cette rambarde est très sécuritaire« . Ici, ça va hurler, la gauche va s’enflammer : tout ce qui est sécuritaire est liberticide, c’est bien connu, et l’ordre moral n’est pas loin. Des bruit de bottes, c’est sûr.
Tibert