Il est des époques et des cultures. Notre époque est moderne, et notre culture est celle des mises en garde omniprésentes : « pour notre sécurité« . Pas un emballage qui ne contienne – surtout pas le mode d’emploi, ça c’est sur Internet si vous parvenez à le dégotter, ni le schéma du bidule avec la liste des pièces détachées, ça c’est top-secret, on est trop cons pour comprendre, encore moins des conseils de réparation, vous rigolez, non ? – qui ne contienne, donc, des « Attention… » et des « Ne pas… » en pagaille. Ne pas utiliser votre sèche-cheveux sous la douche, ne pas le mettre au micro-ondes, débrancher la prise de courant avant de le ranger dans son tiroir, le nettoyer avec un chiffon sec et doux, ne pas y introduire de tige métallique quand il chauffe… et bien entendu, s’il tombe en panne, 1) est-il branché ? 2) y a-t-il du courant ? 3) sinon alors le confier à un réparateur agréé, what else ? et si le prix de la réparation excède, comme c’est quasi sûr, le prix d’achat, alors mettez-le à la benne et achetez-en un autre.
Bref on est des incapables et des gogols, faut rien nous expliquer mais nous gaver de consignes. Dans cet esprit, et « pour notre sécurité« , la Promenade des Anglais, à Nice, est interdite à la circulation des camions de plus de 3,5 tonnes. C’est en principe un arrêté préfectoral, donc, nous dit la mairie de Nice, sa police municipale n’est pas habilitée à le faire respecter. C’est con, hein ? bon… mais encore ? mais encore, cet arrêté est assorti de dérogations. Tenez, sur Nice-matin :
« Il existe toutefois des dérogations à cet arrêté, a fait valoir la municipalité de Nice, évoquant par exemple les camions de déménagement ou les livraisons. « Si on voit un camion circuler dans Nice le 14 juillet, cela ne suffit pas pour simplement l’arrêter » car « il peut avoir une dérogation », a-t-on souligné de même source. »
Donc les camions de plus de 3,5 tonnes sont interdits mais seule la Police Nationale peut sanctionner, et puis il peut y avoir des dérogations… donc en pratique les gros camions font comme ils veulent, vu que : 1) la police municipale s’en fout, ce n’est pas son job ; 2) la police nationale a le droit d’intervenir, elle, mais à supposer qu’elle soit présente sur les lieux pour constater la présence d’un camion, elle est fondée à supposer qu’il bénéficie d »une dérogation, vu qu’il en faut une, c’est logique, non ? d’autant plus que les warnings du bahut sont en fonctionnement : quand on allume ses warnings ça veut forcément dire qu’on bénéficie d’une dérogation.
… Ce qui explique le bilan du 14 juillet 2016 à Nice ; travail soigneusement préparé, le camion de 19 tonnes assassin de 86 piétons – sans oublier tous les estropiés – était passé en repérages onze fois auparavant, les jours précédents et le jour-même, sur ce parcours « interdit aux camions » (sauf dérogation). Vous pensez bien, Nice est truffé de caméras de surveillance, tout ça a été enregistré, forcément, mais comme « il peut y avoir des dérogations » et qu’en plus les bandes vidéo sont trop nombreuses et chiantes à analyser, ça a donné ce que ça a donné : onze passages peinards du même camion en infraction, et pour finir un massacre.
Mon sentiment est que les vidéos c’est bien mignon mais si personne ne les exploite c’est comme pisser dans un violon. Ce qui aurait été utile, c’est qu’un policier ait pris l’initiative « pour notre sécurité » de demander à l’islamiste-chauffeur, lors de ses onze repérages, à quel titre dérogatoire son camion se trouvait là… « papiers siouplaît » : vous y avez eu droit maintes fois, moi aussi, alors ?
Le courrier des lecteurs du Monde qui relate la plainte du maire de Nice contre Mediapart – ce site a eu indûment accès, et comment ? à des documents en principe secrets – donne beaucoup dans la politique, contre LR, contre monsieur Estrosi, également contre monsieur Sarkozy – c’est toujours quelque part « la faute à Sarko », forcément – mais je retiens surtout ce court commentaire, que je vous propose de méditer :
« Il y a dans ce pays une culture de l’impunité ; il faudra très longtemps pour s’en débarrasser« .
Tibert – et encore faudrait-il qu’on le veuille !