On s’en lamente, on soupire, on nostalgise : c’est la mort des petits bistrots (ou bistros, puisque l’un et l’autre se dit, ou se disent – puisque l’un et l’autre se dit… etc etc (ça ressemble à une démonstration de récursivité). La mort des canis, des rades, des zincs, des troquets, des cafés. Et d’accuser, bien évidemment, la répression anti-alcool, puis anti-clope, causes supposées de la désaffection des clients.
Ben non ! non… il faudrait que mesdames et messieurs les bistrotiers se remettent quelque peu en cause… ouvrent leurs esgourdes et leurs mirettes ! aillent voir ce qui se fait outre-Pyrénées, outre-Manche, outre-Quiévrain, outre-Rhin, Outremont (ah non pas celui-là, c’est à Montreal).
Le bistrot de par chez nous : les mégots écrasés et baveux jonchant le carrelage ont disparu, tant mieux, on y respire enfin, tant mieux, mais c’est toujours des tarifs illisibles punaisés dans un coin sombre, la bousculade au comptoir parce que dès qu’on s’asseoit c’est 20 à 30 % plus cher (nous ne serions pas capables, tels les Rosbifs, d’aller chercher notre mousse au zinc puis d’aller nous installer à une table ? ), le plafond qui brille de tous ses néons blafards et grésillants, les tables minuscules et trop serrées en véritable Formica et tubes d’acier, les 7 cl de kawa à plus de 10 balles (soit 1,50 euros) et la baisse de TVA qui a disparu corps et biens, mais pas pour tout le monde.
Internet et son wi-fi brillant par leur absence – ou payants, si d’aventure il y en a – le garçon qui a mal aux pieds et la serveuse qui a ses « ours », le patron qui reluque sa montre si l’on ne renouvelle pas en temps les commandes, les chaises confortables comme des planches à repasser, et un niveau sonore de hall de gare. En général, pas de jeux de fléchettes – mais des flippers assourdissants – pas de tapas sauf des cahuètes, pas de moëlleuses banquettes : on s’y ennuie, dans vos troquets, les gars, on y est mal assis quand on y est assis, c’est triste, moche, étriqué, pas accueillant. On y entre parce qu’on a soif ou envie de pisser, ou les deux ; on se dépêche d’en sortir, la ou les choses faites.
Attendez voir : la Terre a tourné depuis « Le bar de la Marine » du regretté Marius. Les techniques ont évolué, les boissons aussi – la cirrhose ne se porte plus comme une médaille. La convivialité liée au niveau d’imprégnation alcoolique des clients n’est plus une référence ; les discours de pochetrons refaisant le monde ne font plus marrer personne. La convivalité, ça se construit d’abord avec un cadre propre et agréable, une offre claire et aimable, des tarifs raisonnables.
Tibert