Quand César surine Brutus

Pas gêné, le directeur de l’opéra de Florence qui a obtenu qu’on refasse la fin du Carmen de Bizet qu’on donne là-bas : femme valeureuse de 2018, féministe façon « metoo » face aux immondes porcs palucheurs lubriques, Carmen flingue Don José au moment où il veut lui faire la peau. Pas gêné, et je vais vous dire : un iconoclaste et un saboteur. Mais c’est bien dans l’air de ce temps de politiquement correct et de bien-pensance tartuffienne, quand Janet Jackson provoque une émeute avec un nichon qui se met à l’air, « cachez ce sein que je ne saurais voir « .

On avait déjà vu des fins réécrites à des créations jugées trop négatives : on sait, ou pas, que Julien Duvivier, pour son film sorti en 1936 La belle équipe (Gabin, Vanel, Charpin…) avait conçu une fin sombre et funèbre : Gabin-Jeannot y tue Vanel-Charlot… échec de la belle aventure, Bérézina de la ginguette des bords de Marne… et tout ça à cause de pas d’chance et puis de Viviane Romance-Gina, cette faiseuse d’embrouilles, que Jeannot et Charlot chérissent également, d’où leur règlement de comptes entre mâles rivaux.
Et puis zut non, l’exploitant du film y fera greffer une fin souriante. le Front Populaire le veut, la classe ouvrière doit en sortir la tête haute, et Gina va s’effacer, la queue entre les jambes si j’ose dire, face à l’amitié indestructible de Jeannot & Charlot. Fin heureuse, le spectateur sort donc béat de la salle obscure, allume sa goldo et tire une bouiffe en soupirant d’aise, c’était bath. Mais c’était le sabotage d’une oeuvre…

Il va falloir que Tintin au Congo soit réécrit genre Black-is-Beautiful ; que Zola reprenne son Assommoir… J’arrête là : il y a tant d’oeuvres pas correctes, et du boulot pour des décennies, à refaire bien propre par exemple tout Balzac en féministe « écriture inclusive », La lys dans la vallée pour commencer, non mais ! Dans la même veine trouillarde et protégeuse, tenez : Gallimard renonce à ressortir, octante ou quatre-vingt années plus tard, les pamphlets de Céline. C’est inutile, d’ailleurs, ils sont déjà  réédités ici et là, et les lecteurs peuvent y constater qu’effectivement, Louis-Ferdinand avait un « pet au casque », un problème d’ordre pathologique avec les Juifs – mais c’est un fait historique, une oeuvre inscrite dans un contexte et une époque, comme Tintin au Congo et comme la femme dans l’opéra classique de la fin du 19ème siècle.

Gommons donc les faits historiques dérangeants, redressons l’Histoire et la littérature, faisons leur la toilette, que tout ça soit propre, lisse et positif : scénario vivement recommandé, les Bonnes-et-les-Bons triompheront et les Méchants seront punis, comme au Guignol pour les petits n’enfants.

Tibert