Quand ça déliveroue (de vélo)

Un délicieux article de ce site branché engins électroniques et autres gadgets indispensables, nous énonce que « Apple va délivrer des iPhone à des hackers pour renforcer la sécurité d’iOS« . Délivrez-nous des anglicismes stupides ! de fait, plus loin dans l’article sur les iPhone à des hackers, on se reprend, c’est reformulé en presque français : Apple va distribuer des iPhone « jailbreakés » (*) à des hackers pour qu’ils recherchent tous les défauts… eh oui, délivrer c’est chez nous supprimer une contrainte, couper des entraves (… mais délivrez-nous du mâle, par exemple, pour une prière féministe), et non faire une livraison, qui peut se dire tout connement livrer, distribuer, fournir, ou autre, suivant le contexte. Délivrer un message ? livrez-le donc, ça suffira bien.

Ce qui m’amène à évoquer les soubresauts de la plate-forme de livraison de bouffe à domicile et à bicyclette Deliveroo. Les émoluments des livreurs à vélo (pas les délivreurs, notez bien !) ayant changé en faveur des courses longues,  ceux-ci rouspètent, car ils préfèrent faire 3-4 courses courtes qu’une seule longue, c’est plus rentable pour eux – moins crevant aussi, peut-être ? Mais le système qui lie un restaurant, un client, la plate-forme de commandes-livraisons et le coursier, a sa logique perverse : il est tentant pour Deliveroo et consorts de court-circuiter les restaurants, c’est plus juteux ! donc on installe des cuisines « maison » (**) quelque part en banlieue, on y mitonne les trucs habituels – souvent « ethniques » – prisés des urbains branchés (kebabs, couscous, sushis, tacos, chicken wings et autres vacheries exotiques, beaucoup plus rarement du tablier de sapeur, du gratin de nouilles ou de la tête de veau ravigote), ça supprime un acteur, c’est tout bénef… mais il faut véhiculer la bouffe depuis cette lointaine cuisine ! et à vélo…

Bref, outre que par chez moi  les livreurs cyclistes seraient vite rebutés par le dur relief du terrain, outre que la conurbation où je crêche n’a pas la taille critique permettant de rentabiliser un service de livraison, je reste convaincu que cette évolution à commander des plats stéréotypés, improbables et tiédasses au lieu de se mitonner son petit frichti soi-même est une régression dans la civilisation. Boycottons donc tous ces pourvoyeurs, ces délivereurs de tambouille, non pour faire plaisir aux coursiers mécontents, mais pour préserver un peu d’humanité, de créativité, de noblesse à la fonction de manducation. Bénéfice secondaire, ça coûte moins cher.

Tibert

(*) jailbreakés ! oh qui dira le délicieux frisson du jargon technique pour épater le lecteur ! débridés, déplombés auraient fait l’affaire, mais ça n’est pas assez obscur.

(**) on appelle ça des dark kitchens ! bien sombres, les cuisines en question. C’est pour ne pas effrayer les cafards ?