Epitaphe duisbourgienne

Il faut ici, même si ça ne sert à rien – la mémoire est maintenant dévolue aux puces électroniques, et on aura donc vite oublié – s’arrêter le temps d’un billet sur les 340 blessés et les 19 morts de la « Love parade » de Duisbourg, en ce beau mois de Juillet. Visages bleuis du manque d’oxygène, cages thoraciques enfoncées, corps piétinés, au son boum-boum-boum des caissons de graves à donf.  Les morts, bon, eux s’en foutent maintenant, c’était juste un mauvais moment à passer. Mais les 340 plus ou moins blessés, mais les survivants des chers disparus, ceux pour qui le mot « love » va désormais prendre la couleur grisâtre de la chaise vide ?

Il est des vérités physiques simples, de celles que les organisateurs de mitingues devraient connaître : la mécanique des fluides s’applique parfaitement aux terrains suffisamment homogènes, au sable… aux grains de sable, et aux foules compressées. Prenez 1,4 million de jeunes – ça fonctionnerait pareillement avec des vieux, mais ce qui les sauve, c’est que la musique techno les motive peu – et serrez les bien, debout : vu d’avion, c’est exactement le comportement de grains de sable légèrement déformables, tel que la mécanique des fluides pourrait le modéliser. Notamment si vous faites passer votre flux dans un tuyau, un tunnel, par exemple. Flux bien bourré, de préférence, dans tous les sens du terme.

La grosse différence, évidemment, c’est que le grain de sable, lui, n’a pas besoin de respirer, et qu’il panique peu, surtout s’il n’a rien bu. Et puis alors, la techno, les caissons de graves… le grain de sable, lui, pffff, il s’en tape.

Bon… de profundis, condoléances navrées, comme on dit. On avait déjà vu ce genre de truc dans des stades de foot ; l’enjeu y était à vrai dire autrement plus con : aller se faire tuer pour voir 22 types courir après un ballon, sans oublier un 23ème, que la foule voue aux chiottes, et qui trottine autour (du ballon, pas des chiottes, évidemment). Tandis que là, c’était pour l’amour : le prétexte était sur le papier tout à fait valable.  Ceci étant, l’amour, à deux (ou plus, ad libitum, mais pas 1,4 million !) dans un coin de pré, avec la musique du vent dans les branches, ça peut se révéler autrement plus satisfaisant, et moins risqué. Ca peut même donner envie de fredonner une chanson, sans qu’il y ait besoin de caisson de graves.

Tibert