De l’impossibilité de dormir la Nuit, Debout

On l’a vu ou on l’a entendu dire, certains mammifères quadrupèdes dorment debout ; le cheval, bien entendu, mais pas que. Ce qu’écrivant je me demande si c’est bien confortable ?

Mais bon, je vous cause de ça parce que j’ai lu dans un article de canard – le Figues-haro, en l’espèce – que  dernièrement des « veilleurs » se sont affrontés à des « nuits-deboutistes ». C’était le début de la nuit, bien entendu, et ces veilleurs – qui restaient éveillés, donc – avaient eu la riche idée d’aller place de la République – ça  se passe à Paris, what else ? – rencontrer ceux qu’ils supposaient Debout la Nuit, donc logiquement en état de veille, puisque l’être humain ne peut pas rester debout s’il dort, sauf si on lui raconte des histoires à… bracadabrantes, justement. Mais pourquoi les rencontrer ? pour causer entre éveillés, pardi, la nuit rapproche, pénombre, intimité et tout et tout .

Erreur ! castagne et chasse à l’homme en fait de dialogue, tant le nuitdeboutiste hait le veilleur. Non parce qu’il ne dort point, ça ça lui va, mais parce que c’est juste inconcevable en ce lieu, place de la République :  il veille à droite, horreur et putréfaction. La place de la République, sachez le,  ne peut accueillir que des palabres de gauche – modérément les positions modérées, plus volontiers les radicales. De fait, les nuideboutistes ont marqué leur territoire, tels Médor et Fido, et montrent les crocs à qui n’est pas d’la bande. Il faut s’appeler Finkielkraut pour en sortir sans « coups de lattes » ; là en l’occurrence coups de lattes il y eut, et visite aux urgences de l’hosto voisin.

Bref les « veilleurs » se sont repliés, chassés par le nombre, n’ayant pu entamer un dialogue que l’on aurait pu espérer fécond. A lire moi-même l’article dont je vous entretiens,  j’ai appris avec plaisir que la Nuit Debout  comporte un « Pôle Sérénité ». En somme, si vous n’avez pas les idées pile-poil dans le sens nuitdeboutesque, et pour préserver votre intégrité physique, adressez vous donc au Pôle Sérénité, si du moins vous pouvez les identifier à leur air serein : ils « ne prendront pas la responsabilité d’assurer votre sécurité », mais vous proposeront de vider leurs lieux, bref de vous barrer fissa. En somme une version édulcorée de « la valise ou le cercueil ».

Tibert

Il jouait du violoncelle debout…

… et pour moi ça veut dire beaucoup, parce que c’est tout sauf facile. Ou alors en étirant démesurément la « pique » de l’instrument ? ça manque de stabilité, ça va osciller, bonjour les couacs ! Tenez, pour l’ « intro » du dernier mouvement de la Neuvième, de Ludwig Van B., une tripotée de violoncelles joue à l’unisson l’amorce lente du thème, dans les tons très graves… vous voyez faire ça debout, vous ?

Bref je suppose – je n’y étais pas – qu’ au concert anniversaire du premier mois de Nuit debout, nombreux furent les musiciens amateurs ou pas qui se procurèrent une chaise, un tabouret, un cageot, pour pouvoir jouer potablement. Orchestre debout ? les piccolos les saxos les violons les percussions les choristes d’accord ; les gros calibres sûrement pas. Mais bon, c’était une belle initiative, même si le répertoire piquait résolument dans les « saucissons », les morceaux archi-rebattus. On a gentiment épargné au public « Carmina Burana », la « Petite musique de nuit » pourtant tout indiquée pour l’occasion, et le super-saucisson des saucissons, le  Boléro de Ravel, qui est désormais libre de droits, ayant atteint les 70 années de limite d’âge : la SACEM a fini de se faire des couilles en or avec le Boléro de Ravel.

C’est bien sympathique tout ça : quand les mouvements politisés se mettent à la musique, on est déjà un peu moins sectaire, doctrinal, suffisant, donneur de leçons – un peu moins con, en somme. La musique c’est difficile, ça enseigne la modestie, ça apprend à écouter les autres, à faire avec… parce que si l’on entonne « Viens Poupoule » en Si bémol majeur pendant qu’à côté on joue « Ne me quitte pas » en Ut mineur, ça donne un bel exemple de ce que donne la politique aujourd’hui : de la daube.  Vive donc l’Orchestre Debout, avec, soyons sympa, les violoncelles assis.

Tibert

PS : Ceci étant, j’avoue n’avoir rien compris à l’  « Etat d’urgence » et à ses subtiles modulations : les manifs, les rassemblements massifs – et leurs casseurs, of course, une manif sans casseurs c’est comme la Huitième de Schubert, ça a comme un goût d’inachevé –  c’est autorisé, pendant l’état d’urgence ? bizarre.

Conne ivences journalistiques

Monsieur Finkielkraut occupe beaucoup beaucoup les médias (c’est médias en français francisé, mais ce serait media en latin puisque c’est du latin, medium, pl. media). Non que ce soit lui qui brasse excessivement l’air et nous pompe l’oxygène : il fait son boulot, pense et exprime ce qu’il pense, anime ou nourrit entre autres des émissions de radio – dont « Répliques » le samedi matin sur France-Culture, qui devrait vous intéresser – bref il fonctionne. Il fut, il y a peu, chahuté et viré à « Nuit Debout », ce happening  vespéral et très parisien (*).  Il en tira des conclusions verbales claires (« gnagnagna, petite conne« ), sans doute excédé par une militante hostile et véhémente ; puis il s’exprima là-dessus – en exclusivité, ce que je regrette – dans le Figaro du 19 avril. Je n’ai pas lu l’article : il fallait payer, alors payer pour lire un contenu globalement déjà connu, non merci.

Mais là où ça devient rigolo, c’est que le Monde revient sur cet article : au Monde, ils ont payé pour lire, ils ont les moyens, ou entre journaux ils s’arrangent, et ils ont lu l’article de Finkielkraut dans le Figaro. Et, chouette, ils tartinent dessus ! va-t-on savoir, gratos, ce que le Figaro nous cache des déclarations finkielkrautesques ? des clous, l’article est payant, je suis coincé.

Bref j’ignore toujours, sinon les positions grosso modo, du moins le verbatim de  l’article de Finkielkraut dans le Figaro, et ça me chagrine. Reste à espérer qu’un jour à « Répliques », qui s’écoute gratuitement,  Finkielkraut (**) reviendra sur ce « papier » ; ou alors, ultime espoir, que le Monde Diplomatique nous régale d’une reprise de cet article ?  Si vous passez le soir tard sur le terre-plein de la place de la République – à  Paris, ça va sans dire – il semble, il paraît, amis radins, qu’on distribue gratuitement cet estimable périodique à Nuit Debout.

Tibert

(*) Vous vous demandez, perplexe, qui émerge, qui pilote, qui sont les têtes pensantes de Nuit Debout ? voyez cet article du Figaro, peu suspect d’apprécier ce mouvement. A vrai dire l’article en question met clairement en cause le « Monde Diplomatique », cité  cinq fois. Notez, ça expliquerait la grande tendresse du « Monde » pour Nuit Debout.

(**) Tenez, une astuce pour vous éviter la pénible épreuve d’écrire 17 fois « Finkielkraut » : vous mettez AF à la place. Et puis, le billet terminé, ficelé, vous faites un « chercher-remplacer » sur AF : d’un seul coup d’un seul, un magnifique « Finkielkraut » sans coquille dans votre texte, et sans effort.

Voyage au debout de la nuit

La Nuit debout  ? c’est pour moi – avec des minuscules, ne nous prenons pas la tête – un bout de nuit à « partir en piste », vaguer et puis par exemple refaire le monde, accoudé au zinc d’un bar, « devant la bière allemande« . La nuit debout, c’est ce très beau poème chanté de Léo Ferré, « Monsieur Richard » :

Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles
A certaines heures pâles de la nuit
Près d’une machine à sous, avec des problèmes d’hommes
simplement
Des problèmes de mélancolie
Alors, on boit un verre, en regardant loin derrière la
glace du comptoir
Et l’on se dit qu’il est bien tard…

Ils regardent loin loin derrière la glace biseautée du comptoir, les habitués des Nuits debout, et c’est ma foi sympathique et rassurant  de voir comme il est possible et profondément démocratique de libérer la parole nocturne (sauf que Finkielkraut s’y est fait insulter et jeter hier soir ; la place de la République n’est pas ouverte à tous et la démocratie s’y montre très orientée ; on n’est pas prêt à y entendre des voix dissonantes, vive l’unisson, c’est plus simple). Reste à trouver, entre deux nuits et plein de cafés, le temps de dormir un chouïa, militer, tracter, coller des affiches, préparer des banderoles, participer aux réunions, quand il ne s’agit pas pour certaines chapelles plus radicales de confectionner des cocktails inflammables et de s’approvisionner en barres de fer et en cagoules, pour aller à certaines heures pâles de la nuit casser des vitrines, allumer des poubelles, exploser des abribus, affronter des flics las de leur nuit, justement, ces flics qu’on avait acclamés et remerciés au lendemain des attentats de Charlie. Va comprendre…

Va comprendre… les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles, c’est à dire hors de leur formatage politique, de leurs techniques d’entrisme et de leurs solutions téléphonées : « grève générale », « étudiants-travailleurs », eux qui pour beaucoup n’ont jamais mis les pieds dans une boîte. Et l’on invoque, la nuit, debout,  la « convergence des luttes », et l’on convoque la Sainte Grève Générale, et l’on rejoint des deux pieds les « justes revendications » des cheminots SNCF, ces damnés de la terre 😉 …

Le tout sous les yeux attendris de madame Taubira, qui dit sa profonde joie, et des journaliste du Monde, qui boivent visiblement du petit lait. Et ça invoque les mânes, ça ranime la flamme. Esprit de Mai 68 es-tu là ?

Tibert